L’état est-il un nouveau promoteur immobilier?
23 décembre 2008 - 17 h 46 min - Dispositif, Gouvernement, Maison pas chère - Pas de commentaireChristine Boutin a remis, lundi 22 décembre, les clés de leur propriété aux deux premiers bénéficiaires de la « maison à 15 euros par jour », à Ambérieu-en-Bugey dans l’Ain. Le dispositif est loin de faire l’unanimité. Patrick Doutreligne, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre, critique le manque de transparence de l’Etat, quant à l’effort financier réellement demandé aux ménages bénéficiaires.
La « maison à 15 euros » s’inscrit dans une volonté plus large du président de la République de faire de la France « un pays de propriétaires ». Encourager l’accès à la propriété, plutôt que la location sociale, est-ce une bonne stratégie ?
Patrick Doutreligne : S’il s’agit d’augmenter le taux de propriétaires en France, actuellement de 57 %, pourquoi pas. Mais les positions dogmatiques nous gênent. Quand on veut à tout prix favoriser l’accès à la propriété, on risque de pousser à l’endettement des ménages trop justes financièrement. Aux Etats-Unis, on a vu les conséquences d’une telle politique, où le moindre incident – chômage, maladie, hausse des taux d’intérêt ou difficultés bancaires – peut être dramatique pour le ménage concerné : en un an, 2,1 millions de ménages se sont fait expulser de leur logement. Faire croire que ce sont les mêmes personnes qui peuvent accéder à la propriété et au logement social, c’est fallacieux. Certes, si on peut aider certains à accéder à la propriété privée, c’est très acceptable, mais il faut s’assurer que ces ménages s’engagent en connaissance de cause.
Par ailleurs, ce n’est pas la « maison à 15 euros » qui va inciter les promoteurs à construire. On n’a jamais construit des maisons en six mois, entre le moment où on décide de construire et le moment où on nous remet les clés. C’est beaucoup plus long. Les premières « maisons à 15 euros » remises hier à leur propriétaire avaient en fait une autre destination. Il y a eu un effet de captation politique pour les faire rentrer dans ce dispositif.
Ce dispositif ne risque-t-il pas de pousser des ménages n’en ayant pas les moyens à s’endetter?
Le ciblage de ménages disposant d’un revenu entre 1 500 et 2 000 euros semble correct. Mais on est très sceptiques sur les effets marketings de cette mesure. La maison Borloo à 100 000 euros avait déjà fait un flop [800 maisons construites contre 20 000 à 40 000 promises]. La maison n’était à 100 000 euros qu’à condition que le foncier soit gratuit. Le dispositif était attractif sur le papier, mais il dépendait de la bonne volonté des communes à donner du terrain gratuit. L’avantage de la « maison à 15 euros », c’est qu’elle prend bien en compte le foncier, mais à quel prix ? A-t-on expliqué aux bénéficiaires qu’ils s’engagent pour un endettement de 40 ans (de 20 à 25 ans pour la maison proprement dite et de 15 ans pour le terrain) ? Ce sont des prêts très aléatoires. En Espagne, où l’on a accordé des prêts à 40 ou 50 ans, la situation est aujourd’hui catastrophique.
Est-ce que le gouvernement a fait ce travail de pédagogie et d’accompagnement des ménages?
Je crains que non. La maison coûte plus que 15 euros par jour : 750 euros par mois en fait, soit 25 euros par jour. Ce sont les aides au logement qui permettent de réduire ce coût à 450 ou 500 euros par mois. Mais les aides diminuent au fur et à mesure que les enfants grandissent. Un jeune couple avec un seul salaire et deux enfants pourra s’en sortir si sa situation évolue, qu’il touche un deuxième salaire par exemple. Mais un ménage à 1 500 euros, qui dix ans plus tard touche toujours 1 500 euros, en ayant perdu son aide au logement car son enfant aura grandi, devra alors payer 750 euros par mois, soit un taux d’effort de 50 % !
Nous voulons que l’Etat mette en place une information obligatoire et objective, à travers notamment des ADIL (agences départementales d’information sur le logement). Les bénéficiaires de la « maison à 15 euros » doivent avoir eu la bonne information sur l’engagement sur 40 ans, sur l’effort à fournir aujourd’hui et demain, sur l’évolution de l’APL, etc. Pour l’instant, on a l’impression que l’Etat se comporte comme un promoteur immobilier. Il vend un produit, en ne donnant que les aspects positifs et en occultant les aspects négatifs. Par exemple, l’Etat ne dit pas que ces maisons se trouvent souvent loin des villes, là où le foncier est moins cher, que les couples devront peut-être investir dans une deuxième voiture, qu’ils auront des dépenses supplémentaires d’énergie, soit pour se déplacer, soit pour se chauffer…
La « maison à 15 euros », c’est la consécration du modèle pavillonnaire, assez éloigné de la « ville compacte » chère au Grenelle de l’environnement. Qu’en est-il alors de l' »appartement à 15 euros », annoncé par Christine Boutin ?
Le modèle pavillonnaire répond à une logique du marché : plus les centre-villes sont chers, plus les ménages modestes se retrouvent en périphérie. C’est ainsi que l’on fait de l’étalement urbain, qui coûte cher à la société, pollue, et dont les ménages modestes pâtissent en premier lieu. Le Grenelle de l’environnement a eu l’intelligence de vouloir renverser ce modèle, mais la « maison à 15 euros » s’inscrit à contre-courant de cette ambition. Le dispositif étendu aux appartements nous semble en revanche plus intéressant, car il gomme ce défaut de l’étalement urbain. Nous y serons donc très attentifs.
Source: Propos recueillis par Mathilde Gérard pour Le monde